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The Pan African Music Magazine
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PAM Rewind : l’univers de Gafacci en 10 sons

Tous les mois, Cortega vous emmène à la rencontre d’un DJ ou d’un producteur qui met l’Afrique et sa diaspora à l’honneur. Avec, en bonus, une playlist exclusive de dix sons qui ont façonné son univers musical. Aujourd’hui, bienvenue au Ghana, chez Gafacci.

Gafacci a grandi à Labadi, une commune côtière d’Accra, effervescente capitale ghanéenne. Depuis sa naissance, la musique coule dans ses veines. Son père – Sega Gafatchi – était membre du groupe légendaire Chief Commander Ebenezer Obey – qui a popularisé la musique juju nigériane – et avait collabore avec de nombreux artistes de la région, comme le regretté Tony Allen et SJOB Movement. Les DJs aficionados de vinyles connaissent Gafatchi Senior aussi pour avoir coarrangé, composé et joué le synthé sur « Pleasure », un hymne disco-boogie du groupe éphémère Honey Machine.  Au-delà de sa famille, nous dit Gafacci, les habitants de la côte d’Accra sont très portés sur la danse, ce qui a grandement façonné son approche de la musique. Au fil des ans, il est devenu un nom incontournable sur la scène des musiques électroniques africaines, en tant que producteur, DJ et organisateur d’événements. Son talent l’a également porté sur les scènes de festivals en Allemagne (Fusion, CTM), en Norvège (Oslo World) et bien sûr en Ouganda pour l’incontournable Nyege Nyege.

On te connaissait comme beatmaker depuis déjà une dizaine d’années, mais comment es-tu devenu DJ ?

Même si je n’ai réellement commencé le DJing qu’en 2017, j’ai toujours traîné avec des DJs. Mon grand frère en est un lui-même, et il a commencé depuis qu’on est gosses. C’est d’ailleurs lui qui m’a initié en m’apprenant l’art du mix, et ce bien avant que je commence à faire des shows comme DJ. Le plus amusant, c’est que je lui ai enseigné la production musicale en échange. Il a désormais son propre projet, Chefbanku, sur lequel je travaille aussi et on peut enfin entendre ses productions. Pour moi, la transition du beatmaking vers le DJing s’est faite très naturellement. À Labadi, la communauté d’où je suis issu – majoritairement Ga – est fan de musique dance. Donc au lieu de leur jouer du hip-hop ou de l’afrobeats comme tout le monde ailleurs, j’ai tout de suite pensé à la dance music. Ça a été pour moi quelque chose de très naturel, et ça correspondait au genre de musique que j’aime écouter et que je produis depuis déjà longtemps.

Tu es à la fois DJ et producteur. Est-ce que tu fais une distinction entre les deux rôles, notamment quand tu es sur scène ?

Oui, je distingue les deux facettes et je suis producteur avant tout, avant d’être DJ. Partout où je vais, c’est avec ma casquette de producteur. Et même si le DJing est une façon pour moi de faire entendre mes productions, je ne veux pas qu’elles prennent trop de place dans mes sets, car j’ai aussi envie de partager la musique des autres. Et notamment les excellents artistes en dehors du mainstream et qui méritent d’être mis en avant. J’aime aller chercher des influences un peu partout : des musiques francophones aux lusophones, en passant par le kpanlogo, une musique de danse ancrée dans l’identité culturelle du Ghana depuis les années 1960.   

Comment prépares-tu tes DJ sets, notamment quand tu joues pour une audience que tu ne connais pas ?

Quand je vais jouer dans un nouvel endroit, j’essaie toujours de me renseigner le plus possible sur ce que les gens écoutent : je navigue sur les radios et les plateformes en ligne comme Spotify et Apple Music, bien conscient du risque de tomber dans le piège de n’entendre que le mainstream et les chansons populaires du moment. Or, ça ne m’intéresse généralement pas de les jouer. Mes DJ sets sont principalement axés sur des éléments ethniques mélangés à la pop culture. Si je veux jouer un Missy Elliott par exemple, et que je ne veux pas utiliser la version hip hop, je vais préférer jouer un edit, comme un mashup avec des éléments afro. J’adore surprendre les gens sur les chansons que tout le monde connaît.

Tu n’arrêtes pas de sortir des edits excellents, comme celui du tube de Rema, « Dumebi » , ou de « Move Your Body », l’hymne de la house music, morceaux que tu arranges à ta propre sauce. Quelle est l’intention derrière ce travail ?

Ces edits et remix me permettent de faire mieux connaître la musique Ghanéenne. Parce que tu sais, les gens qui apprécient Crystal Waters ou Robin S ne connaissent généralement pas la musique asokpor ou les rythmes de danse du Ghana. Donc quand je joue ces edits, c’est une façon d’apporter ma touche personnelle auprès du public et de leur montrer que la musique est faite d’infinies variations, et que je ne fais qu’en offrir mon humble version. C’est ce qui rend mes sets uniques, quel que soit l’endroit où je les joue. Et bien qu’il y ait toujours des gens qui veulent découvrir quelque chose de nouveau, je sais bien que la plupart d’entre eux sont simplement venus danser, et c’est pourquoi je m’évertue à faire des edits le plus dansant possible. D’ailleurs je les produis en pensant à la communauté des DJs – avant même de penser au public, je dirais – parce que ce sont ces personnes qui font avancer la musique. Les DJs sont à l’aise avec mes remix car il y a toujours un élément avec lequel ils sont déjà familiers, comme le chant, par exemple.

Et quand tu composes, tu as un public spécifique en tête ?

Non, je ne vise personne en particulier. Mais pour être honnête, c’est principalement un public étranger qui gravite autour de ma musique. Il faut dire qu’au Ghana – et plus généralement en Afrique de l’Ouest – c’est la musique naija qui mène la danse. Ce que les gens veulent écouter, c’est Davido qui chante sur un beat four-on-the-floor à 100 bpm [la formule de base de l’afrobeats ; NDLR] alors que ma musique est bien plus rapide, entre 128 et 140 bpm. En réalité, on pourrait dire que mon public-cible est la scène clubbing internationale, quelque chose qu’on n’a pas vraiment ici, au Ghana. Mais je sais que dans un avenir proche, lorsqu’on verra émerger une scène clubbing underground, alors tout ce que j’ai produit prendra naturellement sa place ici aussi.

En plus de la production et du DJing, tu es également très actif dans le développement de la scène électronique guinéenne. Tu peux nous éclairer sur cette activité ?

Quand on a commencé le projet Jowaa il y a quelques années, c’était pour mettre en lumière la musique électronique ghanéenne. C’était un projet passionnant qui m’a aidé à identifier le paysage musical local. Cela dit, je n’ai plus joué sous ce nom depuis la fin du projet il y a deux ans, bien qu’on sorte encore des remix de Jowaa par d’autres DJs. Le projet a désormais évolué vers quelque chose de plus communautaire. Il nous permet d’accompagner d’autres DJs et des producteurs en herbe qui travaillent dans le même état d’esprit que moi. On invite également des amis de la communauté internationale de DJs, comme les Allemands de Through My Speakers, la Britannique Mina ou encore le collectif Moto Kiatu, venus d’Espagne. Notre objectif est de faire venir au Ghana leur expertise dans l’organisation d’événements, de partager ensemble des styles de musique très différents, mais aussi de montrer au public local comment la musique électronique peut être mise en scène. Sur les événements Jowaa, je m’occupe essentiellement de l’organisation et je ne joue pas sur scène (ou bien seulement de façon anecdotique). Ayant déjà tourné à l’étranger, je sais apprécier un événement bien organisé, l’efficacité qui les caractérise en général, et j’essaie donc de reproduire cela au Ghana, avec pour but d’offrir des événements de grande qualité : tout est parfaitement maîtrisé et sans aucun retard, et les shows sont planifiés des mois à l’avance, sans laisser aucune place à l’improvisation spontanée. 

On en a déjà fait trois jusqu’à présent, et le dernier en date au Chale Wote a été un véritable succès. Je note une certaine évolution dans le public, qui est de plus en plus enclin à entendre de la bonne musique qu’il ne connaît pas encore, sans avoir à constamment sortir leur smartphone pour te demander de jouer le dernier tube radio. En Europe les gens ne te font pas de requests ! Ils sont là pour danser et s’amuser, et tant que le set du DJ est bon et dansant, les gens se laissent porter. Je peux t’affirmer que le monde du clubbing ici est encore loin d’être prêt. Mais on essaie justement de construire une communauté, à partir de zéro : un espace dans lequel chaque individu, peu importe ses origines et son milieu, pourrait venir profiter de la musique avec les autres. On n’a pas envie que les gens trouvent ça trop « bourge » ou au contraire trop « local » . Ce serait ouvert à tout le monde. Bon, évidemment, depuis que le Coronavirus a débarqué, on n’a pas pu poursuivre ce programme, mais on espère le faire très bientôt !

Tu peux nous citer quelques noms de ces DJs émergents que le monde doit absolument connaître ?

Voici quelques-uns des meilleurs DJs locaux avec qui j’ai eu le plaisir de travailler, des talents très prometteurs : Afrolektra, TMSKD, Eff The DJ et DJ K3V.

Pour finir, on a remarqué que certaines de tes dernières sorties arborent des mots japonais dans leur titre, comme c’est le cas pour « Wabisabi ». Très intrigant… Tu veux bien nous expliquer ça ?

Ah ah ! C’est pour faire parler les curieux, et je vérifie que ça fonctionne ! Je suis un artiste adepte du storytelling, et c’est pourquoi il y a toujours un message dans tout ce que je fais. Concernant « Wabisabi », il s’agit d’un concept japonais auquel un ami m’a initié, et qui consiste à reconnaître et accepter la beauté qui réside dans l’imperfection. Et quand je regarde la façon dont je fais les choses, il y a toujours une part d’imperfection. Ma façon de faire n’est pas parfaite, et les petits détails peuvent avoir des répercussions énormes sur moi. C’est pourquoi je dirais que mon mode de vie est très wabi-sabi. Pour ce track en particulier, j’ai voulu mélanger des rythmes azonto du Ghana avec un son amapiano, tout en réduisant les parties vocales. C’est quelque chose d’assez différent de ce que je fais d’habitude, qui a pas mal surpris les gens, mais je trouve ça très beau. D’où le titre que j’ai choisi, « Wabisabi ».

La sélection de Gaffaci
Tinny – Makola Kwakwe 

C’était mon morceau préféré quand j’étais en dernière année de collège. Tinny était vraiment l’artiste du moment, et il venait d’une autre ville que la mienne. Son style de rap était unique, et c’était l’un des rares à utiliser la langue Ga. Il abordait des sujets assez cool et toujours sous un angle très intéressant. Par exemple, cette chanson parle du centre commercial Makola d’Accra, et il évoque les rats qui y pullulent. En plus d’être marrant, c’est plutôt original. Son impact a été énorme sur notre communauté, mais il a aussi connu le succès au-delà, se faisant un nom dans le milieu musical ghanéen. D’ailleurs, tous les musiciens de chez moi l’admirent encore, et beaucoup ont essayé d’imiter sa technique de composition. Aujourd’hui, si tu joues ce morceau dans les zones littorales d’Accra, les gens deviennent tarés. C’est devenu un standard intemporel.

Missy Elliot – Get Your Freak On

C’est l’une de mes musiciennes préférées, dont je suis encore l’actualité aujourd’hui. Elle a sorti un paquet de tracks qui sont devenues des grands classiques de la communauté dance. Et les edits de ses morceaux cartonnent dans n’importe quel DJ set ! Ce qui me fait halluciner dans cette chanson, c’est la façon dont elle rappe sur le beat, car ça demande un gros niveau de maîtrise. À l’époque où c’est sorti, ça ne sonnait pas du tout comme le hip hop mainstream alors en vogue, et j’avoue que je suis généralement sensible à l’originalité. Ici j’adore aussi le mélange du hip hop avec des mélodies et rythmes indiens, et c’est une des raisons pour lesquelles c’est devenu une référence pour ma propre production musicale : je suis un grand fan du mariage de la musique électronique avec des éléments ethniques ou traditionnels. Et je reste complètement bluffé par ce titre de Missy Elliott et la façon dont elle a réussi à transformer des rythmes indiens jusqu’à ce qu’ils sonnent comme un bon gros beat hip hop. Et puis, que ce soit devenu une chanson aussi populaire, c’est tout simplement du génie ! Alors dès que je vois passer un remix ou un edit qui porte le nom de Missy, je le télécharge, sans même réfléchir.  

Buk Bak – Komi Ke Kena

Si tu as visité Accra, je parie que tu as déjà goûté le « kenkey » [“komi” chez les Ga, “dokono” chez les Fante ; NDT], ce plat basique fait de maïs fermenté, très typique du littoral. Dans cette chanson, Buk Bak explique qu’il préfère toujours le kenkey plutôt que le riz frit, bien que ce dernier ne soit servi que lors des occasions spéciales. C’est un morceau ultra classique dans les villes des régions côtières, à Osu, Labadi, en passant par Teshie et Nungua. Et si tu jamais joues là-bas, tu es obligé de le passer !

Aaliyah – Try Again

J’ai découvert cette chanson sur une cassette bootleg intitulée K5, une compilation des meilleurs morceaux hip hop de l’année 2000. Je m’étais tout juste dégoté un Walkman pour enfin écouter de la musique facilement. Quand j’écoutais la compilation sur le chemin de l’école, cette chanson était la seule que j’écoutais en boucle. C’est un morceau qui te motive beaucoup, puisque Aaliyah y chante que si tu échoues à atteindre ton objectif, tu dois te reprendre et essayer encore [“If at first you don’t succeed / Then dust yourself off and try again” ; NdT]. Cette phrase me hante, et me touche à chaque fois que j’entends la chanson. Et puis la mélodie est si belle, avec cette voix qui sonne si bien. Avec le recul, j’ai compris que je kiffais cette chanson aussi parce que je suis un fan invétéré des beats de Timbaland. C’est typiquement une chanson dont j’adorerais faire un remix, mais je ne me le permettrai jamais, tant elle est parfaite. 

Magic System – Amoulanga 

Pour moi c’est un classique de Magic System, même si je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Et je pense donc que cette chanson mérite aujourd’hui l’intérêt qu’elle n’a pas reçu à l’époque. Elle est sur leur premier album sorti en 2000, avec également la chanson-titre « Premier Gaou » , devenue immédiatement un énorme succès populaire dans le monde entier. Et c’est sans doute ce succès qui a éclipsé le reste de l’album. Aussi, « Amoulanga » me rappelle les moments qu’on passait en famille à Labadi, où ma tante venait avec son poste de radio, et qu’on jouait de la musique et dansait tous ensemble. C’est un souvenir ancré si profondément dans ma mémoire que je me rappelle exactement des vêtements que les gens portaient à l’époque où l’album est sorti.   

Alizée – La Isla Bonita (cover) 

C’était ma chanson préférée, jusqu’en 2018. Et ça s’entend dans ma manière de composer : j’essaie d’adopter la même approche pour ma musique, mais en très moderne. J’adore les morceaux avec des éléments de guitare espagnole, comme le flamenco ou les choses du genre. C’est avec « Maria Maria » de Carlos Santana et Wyclef Jean que j’ai entendu ce type de son pour la première fois, et j’ai immédiatement voulu en écouter plus ! Bon, j’avoue que je ne suis pas du genre à passer des heures à chercher de la musique, mais quand un truc m’interpelle, je peux devenir vraiment fan. Alors quand j’ai entendu cette reprise du tube de Madonna, j’ai immédiatement adoré. J’aime la façon dont la chanson est construite, avec cette intro, le break, et un élément percussif central. On se rend facilement compte de cette influence sur mes productions afrobeats. J’ai tellement écouté cette chanson que la structure de son arrangement a fini par influencer la façon dont je compose ma propre musique.

King Bruce – Minsumobo Tamoshe

Encore un grand classique dans les communautés des régions côtières où j’ai grandi, et qui m’a aidé à définir ma vision de la musique. En tant qu’artiste, cette chanson est une référence, parce qu’elle t’oblige à t’améliorer sans cesse, si tu veux réussir à faire de la musique dont les gens se souviendront longtemps. C’est la composition que je trouve vraiment particulière sur cette chanson. King Bruce y chante qu’il aime sa femme autant que la canne à sucre, et qu’il ferait n’importe quoi pour être avec elle, en toutes circonstances, même s’il doit partager la tanière d’un lion avec elle. Les cuivres apportent une touche très nostalgique à tel point que quand j’écoute cette chanson, curieusement, je me représente le premier président élu du Ghana, Kwame Nkrumah, en train de danser dessus… Même s’il a disparu bien avant que je ne vienne au monde [décès en 1972 ; NDT], cette musique me ramène à lui. J’aimerais un jour pouvoir composer une chanson d’un tel niveau.

Keke Dance Assembly – Phobia Anthem

Bon… C’est assez particulier. La qualité sonore est pourrie, mais il fallait absolument que je cite cette chanson : c’est l’hymne de mon club de foot préféré, le Accra Hearts of Oak ! Et elle fait partie des chansons de club sportif les plus populaires. Tout le monde est d’accord là-dessus. C’est un morceau qui t’aide à surmonter une situation difficile, avec cette fameuse phrase : « on est en vie jusqu’à ce que nos os pourrissent. » Il s’agit de ne jamais abandonner et de toujours persévérer. Et quand tu entends cette chanson quelque part, tu demandes forcément à mettre le son à fond. Elle a un certain côté Wulomei, ce groupe qui a eu son petit succès au Ghana en mélangeant le highlife au répertoire traditionnel. Un détail qui a inspiré mes techniques de production.  

Amarh Pino – Maria  

Encore une chanson qui mérite une mention spéciale en 2020. La composition et l’arrangement sont parfaits, et en plus d’être un morceau très accrocheur, la qualité de production est au rendez-vous, ce qui est souvent difficile à conjuguer.

Buraka Som Sistema – Kalemba (Wegue Wegue)

Je tenais à mentionner ce titre, parce que c’est un mélange de musique électronique et de kuduro angolais, ce qui fait écho à ma vision de la musique. De la même façon que Buraka Som Sistema, j’aime bien utiliser des rythmes locaux ou des chansons populaires et les mélanger à mon propre son électronique. Cette chanson compte parmi mes influences et c’est pour moi une référence, que je ne manque pas de jouer dans la plupart de mes DJ sets.

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